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Être formateur.rice Trouve Ta Voix : retour d’expérience

15 janvier 2022. Je traverse le parvis du lycée professionnel d’A., puis passe les portes qu’un surveillant est en train de tenir. Hélant les quelques élèves retardataires qui ne sont pas encore entrés dans l’établissement, le surveillant pose ensuite son regard sur moi et me demande, une pointe de suspicion dans la voix : « Vous êtes une élève ? » Et à moi de lui répondre : « Non, formatrice Trouve Ta Voix. Je cherche la classe de Madame F. » Rassuré, mon interlocuteur m’invite à monter au premier étage et à me rendre en salle 113. Je m’exécute en le remerciant, sous le regard amusé de quelques élèves encore présents dans le hall d’entrée. L’un d’entre eux invite ses camarades à se rendre à la cantine, d’où me parviennent d’appétissantes effluves. 


En effet, il est midi : l’heure pour moi de dispenser ma toute première séance auprès d’une des classes de seconde de Madame F. Si j’ambitionne de transmettre à ses élèves les clefs de la prise de parole en public, cette première séance a pour but essentiel de permettre aux élèves de me connaître, de prendre connaissance de l’association Trouve Ta Voix et, surtout, de co-construire un espace bienveillant dans lequel chacune et chacun pourra s’exprimer en toute liberté. 


Alors que je me remémore les objectifs de ma première intervention, un nouveau groupe d’élèves m’intercepte dans les escaliers menant vers le premier étage : « Eh tu sais si Monsieur D. est absent ? » Je réalise qu’on s’adresse à moi et répond tranquillement que non, je n’en sais rien. Décidément, je fais vraiment plus jeune que mon âge. Cela va faire cinq ans que j’ai quitté le lycée mais devant ces adolescents, là, tout de suite, j’ai l’impression d’y être encore. Tout me rappelle le secondaire : du revêtement caoutchouteux qui tapisse le sol (identique à celui de mon lycée), aux rires qui fusent dans le couloir du premier étage, tout y est. 


Au retentissement de la sonnerie, je me hâte de rejoindre la salle 113. La porte de la salle comprend une fenêtre, de laquelle j’aperçois mes futures « élèves ». Madame F. se tient debout sur l’estrade, rappelant à ses élèves de ne pas oublier l’évaluation de jeudi prochain. Mais son auditoire n’est déjà plus attentif : la sonnerie, annonciatrice de la pause déjeuner pour une moitié de la classe, les a plongés dans un état d’excitation intense. Je ne donnerai ma formation qu’à quinze élèves, avant de la proposer à l’autre demi-groupe, après le déjeuner. 


J’hésite encore sur le pas de la porte, lorsqu’une élève m’aperçoit et m’annonce au reste de la classe : « Y’a la dame ! » Je comprends immédiatement que « la dame », c’est moi. Il y a cinq minutes à peine je passais pour une lycéenne, désormais me voilà hissée au rang de « professeure ». Mais que ce soit bien clair : je suis formatrice, pas professeure. Tout ce que je souhaite moi, c’est créer des temps d’échanges avec les élèves, leur donner des clefs pour s’exprimer en bonne et due forme, les inciter à avoir confiance en ce qu’ils ont a dire et à faire porter leur voix. Il faudrait aussi que je leur rappelle l’existence du concours d’éloquence Trouve Ta Voix et que… « Ah oui, là voilà ! Entrez entrez, on finit tout juste le cours ! » Madame F. m’interrompt dans mes pensées et m’invite à prendre place sur l’estrade. 


Je m’avance, silence de plomb. Grande inspiration. Je m’apprête à leur prononcer le petit discours que j’avais préparé quelques semaines plus tôt, lorsque l’association Trouve Ta Voix m’a formée. Mais au moment d’entamer mon récit, voilà qu’une multitude de souvenirs, datant du lycée, me reviennent à l’esprit : 


Lorsque que le professeur demandait qui souhaitait passer le premier en exposé mais que personne ne se proposait, parce que monter sur l’estrade devant tout le monde, c’était très impressionnant. 


Lorsque j’avais la réponse à une question d’un professeur mais que je n’osais pas lever la main, par crainte que les 30 élèves de ma classe braquent leurs regards sur moi. 


Lorsque je procrastinais totalement mes révisions, parce que je pensais que celles-ci ne serviraient à rien et ne me permettraient pas d’éviter une mauvaise note. 


Lorsqu’il était question d’élire les délégués de classe, qu’une part de moi s’imaginait me présenter, mais qu’elle était tout de suite étouffée par l’assurance de celles et ceux qui se portaient instantanément candidats.


Lorsque une opinion me brûlait les lèvres mais qu’il me fallait 30 secondes de préparation dans ma tête avant de lever la main pour la soumettre aux autres et que le professeur avait déjà eu le temps de passer à un autre sujet.


Lorsque le professeur lisait une excellente copie devant toute la classe et qu’un sentiment ambivalent m’habitait : si c’était la copie d’un autre, la déception de ne jamais être lue ; si c’était ma copie, la honte d’être réellement entendue. 


Je me demande pourquoi toutes ces situations passées s’imposent à moi à ce moment précis. Je réalise qu’elles ont en fait un point commun : elles sont nées d’une auto-censure. Lorsque j’étais au lycée, je m’empêchais de prendre la parole. Sauf que lorsque j’étais au lycée, personne n’était réellement venu me la donner. Face à moi, les élèves de Madame F. s’impatientent. Je leur souris et leur dis : « Avant de me présenter, j’aimerais d’abord vous entendre, savoir qui vous êtes. Alors, qui veut prendre la parole ? »


Solène Klinge, pour la série d’articles “Nos Plumes” – Trouve Ta Voix