Dans leur ouvrage Une logique de la communication, Paul Watzlawick, Janet Beavin et Don Jackson rappelaient l’axiome suivant : « On ne peut pas ne pas communiquer ». En effet, lorsqu’un individu prend la parole, son discours est toujours accompagné de ce que ces trois auteurs nomment des « signaux suprasegmentaux ». Ces derniers constituent autant d’indices corporels et verbaux (mimiques, gestuelle, intonation) qui facilitent l’interprétation de ce qui est dit. Ainsi, il y aurait une analogie entre la parole et le comportement. Or, il est impossible de ne pas se comporter. Même le fait de se taire est signifiant : l’absence de son n’est pas l’absence de sens.
Ce postulat a très bien été saisi par le compositeur John Cage, en témoigne son œuvre 4’33. Durant cette pièce pour piano, le soliste a pour seule tâche de s’asseoir devant son clavier, de lancer un chronomètre et d’attendre quatre minutes et trente-trois secondes avant que le morceau, fait de silence, ne s’achève. En composant une œuvre totalement silencieuse, John Cage pensait nourrir son morceau des réactions du public, d’abord perplexe puis hilare face au comportement du pianiste.
Et pour cause : la musique a longtemps pris la forme de chants polyphoniques, de pièces de musique de chambre extrêmement élaborées ou encore d’orchestrations très étoffées. Par conséquent, une pièce aussi abstraite que 4’33 ne pouvait que surprendre, les spectateurs étant habitués à ce que la musique leur procure des émotions, si ce n’est par les mots, du moins par les sons. Aujourd’hui, le jazz nous émeut sans parole, la musique afro s’affranchit des lyrics pour n’offrir que son rythme et une ligne de basse suffit à la techno pour faire vibrer la jeunesse. Autrement dit, la musique offre un autre langage et permet de parler sans les mots.
Toutefois, cela ne signifie pas que les musiques actuelles se sont totalement passées de la parole. Cette affirmation reviendrait à négliger tout l’impact représenté par les chansons à texte, le rap ou encore le slam. Encore récemment, le chanteur Stromae sortait son dernier album, Multitudes, dont l’intelligence repose notamment sur le choix des paroles. En quelques accords seulement, l’artiste nous évoque sa dépression, son expérience de père ou, tout simplement, les tracas de sa vie quotidienne.
Ainsi, la musique permet à son auteur de s’exprimer et à celui qui l’écoute de s’identifier aux situations qu’il ne verbalise pas et ne chante jamais. La musique permet de faire entendre ce qui n’est jamais dit, et, mieux encore, de sublimer l’innommable en lui donnant parfois une consonance nouvelle. C’est d’ailleurs sur fond de chant bulgare que Stromae nous fait part de ses tourments, ou grâce à un erhu chinois qu’il revient sur les vicissitudes de la vie de couple. En intégrant des musiques et instruments du monde à son album, l’artiste belge nous montre que la musique est un mode de communication universel, quel que soit le langage employé.
Présente lorsque les mots nous manquent ou que la solitude nous étreint, la musique dit pour nous. Elle nous invite à chanter et à danser ce qui ne peut pas être énoncé, au gré des mélodies, des pulsations et des tempi, nous permettant de ne pas nous accrocher trop fort aux bémols de la vie.
Solène Klinge pour la série d’articles “Nos Plumes” Trouve Ta Voix